Prévention organisationnelle, parent pauvre de la gestion de l’absentéisme

Propos de Grégor Bouville, Maître de Conférences, recueillis par Pauline Rabilloux pour Entreprise & Carrières, N°1078, le 10 janvier 2012.

Des professionnels analysant le dossier de candidature d'une professionnelle symbolisant la Validation des Acquis d'Expérience et Validation des Acquis Professionnels en formation continue avec Dauphine Executive Education (Université Pairs Dauphine-PSL)

Un article paru dans Entreprises & Carrières, le 10 janvier 2012.

Véritable obstacle à la performance de l’entreprise, l’absentéisme est souvent abordé de manière erronée par les directions des ressources humaines. Les solutions pour le combattre semblent inadaptées. Elles peuvent même parfois aggraver le phénomène.

E & C : En quoi l’absentéisme est-il un problème récurrent pour les DRH ?


Gregor Bouville : Longtemps occulté par la progression du chômage, l’absentéisme redevient un sujet de préoccupation important pour les pouvoirs publics et les entreprises. Il leur coûte cher, tant en coûts directs – indemnités complémentaires, salaires des remplaçants –, qu’en coûts indirects – perte en quantité et en qualité, accroissement des délais de production, temps passé par le service du personnel¼ Or les marges de manoeuvre sont assez restreintes et les DRH ont tendance à privilégier les solutions à court terme de chasse aux arrêts maladie. Le mot absentéisme luimême pose problème dans la mesure où il revient à agréger pêle-mêle ce qui relève de la maladie, des congés maternité, d’accidents ou de désengagement, ce qui rend difficile une lecture précise du phénomène. Il a d’ailleurs une connotation négative qui évoque immédiatement une attitude irresponsable de la part de ceux qui s’absentent. D’après mon exploitation des données de l’enquête Sumer 2002-2003, l’absentéisme attitudinal – c’est-à-dire l’absentéisme fréquent et de courte durée – est pourtant minoritaire. Par ailleurs, seuls 6 % des arrêts de travail sont médicalement injustifiés, selon une estimation de la Cnam de 2006. Pour les chercheurs en sciences de gestion, l’absentéisme est avant tout un indicateur social qui, comme tel, figure dans le bilan social des entreprises. Ils considèrent notamment les absences de courte durée comme un comportement volontaire de retrait, influencé par des facteurs tels que la satisfaction au travail, l’implication ou l’engagement. Pour les épidémiologistes et les médecins, l’absentéisme – surtout celui de longue durée, cette fois – peut-être considéré comme un indicateur général de l’état de santé des salariés. Tout laisse à penser que les directions RH interprètent, pour leur part, l’absentéisme en termes individuels, soit comme la résultante d’une fragilité ou de difficultés personnelles, soit comme un comportement déviant relevant d’une logique de retrait. Elles semblent, dans les deux cas, négliger les déterminants organisationnels du bien-être psychologique et physique au travail.

E & C : Quels sont les grands types de solutions mises en place ?
 

G. B. : Selon un sondage sur la santé au travail effectué en septembre 2008 auprès de 604 DRH par Malakoff Médéric-Psya, les actions contre l’absentéisme les plus fréquemment mises en place par les DRH sont les contre-visites médicales (72 % des sondés), la communication autour de l’absentéisme (69 %) et les incitations financières (51 %). Ces résultats montrent bien que prévaut l’approche de l’absentéisme considéré comme un comportement déviant. Les politiques de réduction de l’absence au travail s’ordonnent en fait selon 2 axes : réactif et préventif. La politique réactive cherche à agir sur les comportements, et englobe les pratiques de sanction et de contrôle des absences. Enfin, pour récompenser la présence, il y a des primes d’assiduité. La politique préventive cherche, au contraire, soit à améliorer la santé des salariés par des programmes individuels, soit à agir sur les déterminants organisationnels de l’absentéisme. Le fait que les managers privilégient le contrôle de l’absence et les incitations financières montre qu’ils se situent dans une perspective plus réactive que préventive. Cependant, on assiste aujourd’hui à la montée en puissance de solutions allant dans le sens de la prévention, mais quasi exclusivement au titre de la prévention individuelle. C’est ainsi que se développent, dans certaines entreprises, des programmes individuels d’amélioration de la santé : gymnastique sur le lieu de travail, conseils diététiques, sessions d’apprentissage de la gestion du stress, etc.

E & C : Ces solutions vous paraissent-elles adéquates ?
 

G. B. : Clairement non. La prévention organisationnelle reste le parent pauvre de la gestion de l’absentéisme. Dans l’étude sur la santé au travail précitée, les DRH n’invoquent qu’en dernière position un changement dans l’organisation du travail (30 % des DRH). Si l’on considère que l’absentéisme des salariés relève souvent de problèmes de santé au travail, les solutions apportées sont globalement mal ciblées puisqu’elles partent d’une analyse erronée du problème. Les actions mises en place reposent principalement sur la conviction qu’il existe des individus malhonnêtes qui veulent en faire le moins possible. Or, selon une étude de l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail datant de 2002, le stress serait à l’origine de 50 % à 60 % de l’absentéisme. Les deux premiers motifs d’arrêts de plus de deux semaines sont en effet les états anxiodépressifs et les pathologies dorsolombaires. Des études françaises – Bouville, 2009 et 2011 – montrent que l’implantation de normes ISO, la densification et l’intensification du travail ainsi que des conditions de travail dégradées sont les causes principales de l’absentéisme. Alors que les politiques individuelles et de court terme se révèlent peu efficaces pour lutter contre l’absentéisme, ces mêmes travaux soulignent au contraire l’efficacité à long terme de la politique de gestion préventive organisationnelle. Les politiques de court terme cherchent pour leur part à atténuer les symptômes plutôt qu’à s’attaquer aux causes.

E & C : Les DRH sont-ils démunis pour gérer les problèmes d’absentéisme ?
 

G. B. : On pourrait suggérer qu’ils n’ont pas toujours acquis, au cours de leur formation, les moyens conceptuels pour faire une juste analyse du phénomène et qu’ils manquent de la latitude décisionnelle qui leur permettrait de poser les vraies questions. Les choix stratégiques leur échappent trop souvent. Les systèmes de gouvernance des entreprises leur assignent un rôle de pourvoyeurs de solutions rapides, quasi magiques. De telles solutions n’existent pas. Le danger est pourtant réel, à la fois de ne pas poser un diagnostic pertinent et de mettre en place des solutions répressives. En effet, à trop prendre les salariés pour des boucs émissaires, on risque d’aggraver le mal-être au travail. La répression creuse le fossé d’incompréhension entre les salariés et leurs dirigeants. Un vrai cercle vicieux !

Parcours

Gregor Bouville est Maître de Conférences à l’Université Paris Dauphine-PSL et membre du laboratoire DRM-UMR CNRS 7088-Équipe Management & Organisation. Agrégé d’économie et gestion, docteur en sciences de gestion, ses recherches portent sur les conditions et l’organisation du travail, les politiques RH (absentéisme, santé au travail et gestion des âges). Il est l’auteur de nombreuses publications, dont "L’absentéisme : une relation à l’âge modérée par l’implication » (in En âge de travailler. Recherches sur les âges au travail, S. Bellini et J. Y. Duyck, Vuibert, 2009) et "L’absentéisme au travail : un révélateur d’un mal organisationnel" (in L’État des entreprises 2012, La Découverte).

Lectures

Les Travailleurs des déchets, Delphine Corteel et Stéphane Le Lay, Erès, 2011.
Le Capitalisme à l’agonie, Paul Jorion, Fayard, 2011.
La Centrale, Elisabeth Filhol, POL, 2010.

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