L'impact du Covid-19 sur le secteur de l'hôtellerie
Jean-François Gagne est Associé au sein de Aldema Partners, cabinet de conseil et management spécialisé dans les secteurs du tourisme-loisir, du luxe, de l’hôtellerie et des médias. Il est également Enseignant à Paris-Dauphine - PSL, partenaire de l’institut Le Cordon Bleu, et dans différentes Business Schools et Ecoles d’Ingénieur. Il nous livre son expertise du marché hôtelier face à la crise actuelle du Coronavirus. Rencontre.
Quel est l’impact de la crise du Covid-19 sur l’hôtellerie ?
L’ampleur de la crise du secteur hôtelier est sans précédent. On entend pas mal de chiffres mais ils ne sont pas consolidés et c’est donc difficile de quantifier. Nous disposons d’une première étude très récente, de début avril 2020 et réalisée par Phocuswright sur le parc hôtelier de Singapour en mars 2020. Cette étude indique que le Revpar (le revenu par chambre disponible) y a chuté de 75% sur un an, par rapport à mars 2019. Et ce chiffre combine une baisse de 60 % du taux d’occupation du parc hôtelier et une baisse de 30% du prix des chambres. On est donc d’abord en face d’un choc de demande, qui a baissé drastiquement et dont les prévisions à court terme sont du même ordre. Ainsi, le taux d’occupation enregistré à Singapour dans la même étude sur juin 2020 est en baisse de 50 % par rapport à juin 2019.
Comment cela va se traduire sur les pratiques de consommation ?
Les hôteliers se retrouvent avec des recettes en forte baisse et des coûts fixes importants qui eux ne bougent pas (salaires, crédits et emprunts éventuels, ..). Et comme tout le monde, ils se demandent ce qui va se passer du côté des consommateurs le moment venu. Et on est là dans une extrême incertitude : nul ne sait vraiment quelles sont les pratiques de consommation du tourisme qui vont s’établir dans notre monde d’après : envie de se déplacer ? Choix des destinations (plus ou moins contraints par les ouvertures de frontières et la reprise tout aussi incertaine des liaisons aériennes) ? Durée des séjours ? Niveau de dépense et donc orientation entre les segments hôteliers ?
Pour les gestionnaires des hôtels, c’est quasi impossible à ce stade de se projeter dans l’après en posant des hypothèses d’activité (volume, durée) qui leur permettent de dessiner un chemin possible pour s’en sortir. Comprenons-nous bien, ça ne veut pas dire qu’ils ne vont pas s’en sortir ! Ça signifie que pour l’instant, c’est impossible de lire ce qui va se passer à l’avenir et pour un patron hôtelier, c’est angoissant…
Quel sera le paysage économique pour les acteurs de la filière hôtelière ?
La crise est globale et pourtant tous les acteurs ne vont pas la ressentir de la même façon. On peut mettre en avant trois variables qui vont être importantes.
D’une part les pays où une partie des pertes pourra être prise en charge par des mécanismes globaux : on pense bien au chômage partiel comme en France et en Allemagne qui permet d’alléger le coût pour le gestionnaire. On peut aussi penser, dans une moindre mesure, à des dispositifs d’assurance pour l’hôtelier. Le contentieux pour ces questions d’assurance de perte d’exploitation explose aux Etats Unis avec peut- être pour finir une négociation entre les deux parties, exploitant et assureur.
Ensuite, on va voir des zones géographiques où l’activité tout court et en particulier l’activité hôtelière va reprendre, quand les conditions sanitaires seront acceptables. On pense bien sûr à la Chine, où l’activité économique reprend et on dispose de données encourageantes sur les achats récents de voitures. A quand la ruée dans les hôtels pour en profiter ? On voit aussi plus près de chez nous, en Europe, l’enjeu de l’ouverture des frontières pour cet été car la consommation hôtelière et plus globalement de loisirs entre juin et septembre, va se répartir très différemment suivant les logiques de déplacements qui seront possibles en Europe cet été. Si les frontières sont ouvertes, une partie des clients ira vers le Sud pour consommer des vacances. Sinon, ça sera une saison exceptionnelle pour les hôteliers allemands, hollandais et scandinaves.
Enfin, la crise va impacter différemment les structures hôtelières. Les grands groupes sont impactés bien sûr. A titre d’exemple, le cours de Accor a perdu + de 35 % depuis le début de l’année. Mais ils disposent d’une bonne trésorerie et ils ont largement axé leur développement par la franchise depuis des années, pour abaisser leur utilisation de capitaux propres. Et à ce titre, ce n’est pas le franchiseur qui paie les pertes du franchisé. Beaucoup des décisions de gestion les plus difficiles dans l’hôtellerie seront probablement sur les épaules de patrons de petites structures.
Un changement de modèle pour l’hôtellerie est-il possible ?
La question se pose à différents niveaux. Elle se pose sur certains outils de gestion et méthodes, largement utilisés dans l’hôtellerie. Par exemple le pricing dynamique pour optimiser le Revenue Management, se trouve remis en cause parce que nous sommes dans une période critique de demande et que ce type d’outil est conçu pour optimiser dans un modèle donné. Mais ils retrouveront leur utilité le jour où le marché sera revenu sur un équilibre classique. Toujours dans les outils de gestion, on peut imaginer que les gestionnaires hôteliers vont intégrer des contraintes beaucoup plus fortes de l’environnement dans leur plan stratégique pour les années à venir. Peut-être vont-ils s’orienter sur le concept de capacité des structures à encaisser deux chocs externes. Il faut reconnaître que depuis 30 ans les acteurs du secteur touristique ont enchaîné les crises. Une des questions qui émerge avec la crise est celle d’une remise en cause, pourquoi pas profonde, tout est possible, du modèle d’internationalisation de l’hôtellerie. Beaucoup d’hôteliers – pas tous – vivent d’une clientèle internationale, donc de clients de différentes nationalités et cultures qui se côtoient dans l’hôtel. Ils ont dû construire leur produit, le calibrer et former le personnel pour pouvoir répondre aux attentes de cette clientèle internationale. Si les équilibres changeaient durablement (déplacement des clients à l’autre bout du monde, tourisme de masse, …), le modèle d’internationalisation de l’hôtellerie pourrait être transformé. Avec des logiques plus régionales et moins globales. L’avenir nous le dira…
Pour aller plus loin...
Le Cordon Bleu Paris et l’Université Paris Dauphine-PSL allient leurs expertises dans un MBA Hospitality and Culinary Management. Un programme destiné à public de managers expérimentés pour former les futurs leaders de l’hôtellerie de luxe et de la restauration internationale qui souhaitent développer leurs compétences en stratégie et management.