Intégrer la soutenabilité au cœur des stratégies et des formations

Professeure en management à l’Université Paris Dauphine – PSL.

Frédérique Déjean est spécialiste des questions de responsabilité sociétale des entreprises et de soutenabilité. À travers cet entretien, elle revient sur les défis auxquels font face les organisations pour intégrer ces enjeux, sur le rôle essentiel joué par les institutions académiques dans la formation des leaders de demain, et sur les apports de la recherche dans la transformation des pratiques.

Comment définiriez-vous la soutenabilité dans le contexte des organisations modernes ?

La soutenabilité d’une organisation implique la préservation des capitaux (financier, matériel, naturel, humain) dans une optique de maintien d’une trajectoire de productivité et avec pour visée le bien-être humain. Afin de bien comprendre les enjeux de la transition socio-environnementale pour les entreprises, la distinction, fréquente en sciences économiques, entre soutenabilité faible et soutenabilité forte est essentielle. Dans le cadre de la soutenabilité faible, la croissance du capital matériel (permise par la croissance et l’innovation) peut compenser la perte de capital naturel. En soutenabilité forte, la substitution entre les capitaux est impossible : les capitaux doivent être préservés séparément et un seuil écologique doit être préservé. Loin de remettre en cause les Objectifs de Développement Durable défini par l’ONU, l’expression d’une soutenabilité forte est un levier d’accélération de leur atteinte.

Quels sont les principaux défis auxquels elles sont confrontées pour atteindre des objectifs de développement durable ?

La soutenabilité d’une organisation implique à la fois une réduction des impacts négatifs de son activité ainsi qu’une création de valeur pour les parties prenantes et plus largement pour l’écosystème dans lequel l’organisation évolue. Aussi, les organisations réfléchissent à la meilleure façon de faire évoluer leur modèle d’affaires, s’orientant par exemple vers la circularité et la sobriété. Au-delà de l’adaptation au changement climatique, il est indispensable pour les entreprises de diminuer leurs émissions responsables de la pollution et de la dégradation du climat.

La transformation des modèles d’affaires, l’évolution des modes de production et de consommation vers davantage de sobriété obligent les entreprises et plus largement les organisations à penser la désirabilité de leurs pratiques. La question des récits organisationnels, la façon dont ils sont pensés, diffusés et reçus deviennent essentielles.

Comment les institutions académiques forment-elles les futurs leaders en matière de soutenabilité ?

 

Les universités et les institutions académiques jouent un rôle crucial dans la promotion de la soutenabilité et responsabilité des organisations, à plusieurs titres.

Tout d’abord, les enjeux de la transition socio-environnementale sont aujourd’hui intégrés dans les différents programmes de cours et font aussi l’objet de formations spécifiques. Par exemple, l’Université Paris Dauphine - PSL a proposé dès 2002, en formation initiale et en formation continue, un Master 2 Développement Durable et Organisations (DDO). Reflétant au plus près l’évolution des enjeux socio-environnementaux l’intitulé de cette formation a évolué : le Master DDO est devenu le Master Organisations, soutenabilités et responsabilités (OSeR). Les formations dont l’objet est construit autour de la soutenabilité sont aujourd’hui beaucoup plus nombreuses, certaines généralistes et d’autres plus spécialisées autour de la circularité ou de l’information extra-financière par exemple.

Ensuite, les institutions académiques sensibilisent leur personnel et les étudiants aux enjeux et pratiques de la soutenabilité grâce à des conférences, des rencontres et journées d’études et l’organisation de projets concrets.

Enfin, les institutions académiques adoptent elles aussi des pratiques soutenables : bilan carbone, prévention des risques psycho-sociaux, lutte contre le harcèlement et les discriminations. Ces pratiques font l’objet de publications dédiées : les rapports RSE ou rapports de durabilité.

Comment les organisations peuvent-elles intégrer efficacement les principes de RSE dans leur stratégie globale ? 

 

L’intégration des principes de responsabilité et de soutenabilité dans une organisation suppose une approche globale : ces principes doivent concerner l’ensemble de la structure du groupe et permettre que la mission de l’organisation soit redéfinie et alignée avec une visée soutenable. Concrètement, la direction doit s’interroger sur les missions de l’entreprise et s’assurer que l’ensemble des collaborateurs sont embarqués dans une même vision. La RSE doit devenir une opportunité et non plus une contrainte. L’engagement de la direction, l’organisation de la gouvernance en conséquence et un dialogue nourri avec les parties prenantes sont primordiaux.

Quels sont les indicateurs clés de performance (KPI) qu'elles devraient suivre pour mesurer leur impact ?

 

Le reporting Environnement, Social et Gouvernance (ESG) permet de s’assurer que les organisations, au travers d’informations extra-financières, rendent comptent de leurs pratiques et que ces actions sont compatibles avec les enjeux de la transition socio-environnementale. Le reporting ESG fait l’objet de réglementations de plus en plus denses et les attentes quant aux informations diffusées n’en sont que plus élevées. Les entreprises, en particulier les entreprises cotées, bénéficient d’une expérience d’une vingtaine d’années, ce qui est loin d’être négligeable et permet d’obtenir une information dont la qualité augmente sensiblement au fil des ans. Au-delà des informations environnementales et sociales plus classiques et désormais bien maîtrisées par les organisations, les attentes se focalisent en particulier sur les enjeux à la fois des modèles d’affaires circulaires et aussi de préservation de la biodiversité. La notion de performance globale, associant performance financière, performance sociale et performance environnementale, est aujourd’hui largement (re)connue par les acteurs dans les organisations et les experts académiques.

En quoi la recherche académique peut-elle contribuer à l'amélioration des pratiques de RSE dans les organisations ?

 

La recherche académique joue un rôle essentiel dans l’amélioration et la vulgarisation des pratiques de soutenabilité dans les organisations. Les premières recherches, d’origine nord-américaine, sont anciennes et ont commencé à véritablement se structurer dans les années 1960.

Les recherches en lien avec la RSE ne se sont jamais interrompues alors même que le « phénomène de mode » était régulièrement mis en avant. Bien au contraire, les chercheurs ont poursuivi leurs explorations, leur objet de recherche souvent l’expression de l’évolution des tendances dans les organisations, suivant au plus près les mutations des modèles d’affaires. Ces recherches permettent de mettre en regard la pertinence des pratiques et structures adoptées avec les réflexions théoriques, en témoigne par exemple l’essor des sociétés à mission concomitant des travaux sur ce qu’est une entreprise. Actuellement, les thématiques de recherche restent nombreuses et proches des préoccupations des acteurs de terrain : la finance responsable, l’économie circulaire, l’innovation responsable, la mesure de l’impact, la comptabilité soutenable.


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Publié le 3 juin 2025